fbpx
Manon Schick, Directrice générale de la  DGEJ: «Protéger les enfants, une mission essentielle de l’état»

Manon Schick, Directrice générale de la DGEJ: «Protéger les enfants, une mission essentielle de l’état»

Il a trois ans exactement naissait la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ). Le Service de protection de la jeunesse changeait non seulement de nom, mais se transformait en profondeur. Arrivée en 2020, sa cheffe Manon Schick détaille les réformes entreprises pour que la nouvelle direction puisse remplir sa mission en matière de protection, de prévention et de participation auprès des enfants dans la tourmente familiale.

La Gazette, 13 septembre 2023

Le Service de protection de la jeunesse a connu ces dernières années de profonds changements. Le 1er septembre 2020, il changeait de nom et entamait des réformes en profondeur, laissant la place à la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ), qui se voyait également rattacher l’Unité de promotion de la santé et de prévention en milieu scolaire. Mais au-delà de cette nouvelle appellation, comme l’explique Manon Schick, sa directrice générale, cette réorganisation visait à renforcer la protection de l’enfant. L’objectif est de garantir le respect systématique de l’intérêt supérieur de l’enfant, mais aussi de favoriser son droit à participer et à être entendu dans les décisions qui le concernent. «La réorganisation permet à la DGEJ de jouer un rôle de pivot dans le dialogue avec les autres services de l’État, mais aussi avec l’ensemble des acteurs de la protection de l’enfance que sont les juges, les avocats ou encore les médecins.»

La protection, un pilier central

Entrée en fonction au moment de cette transformation, Manon Schick se souvient : «Ce service avait traversé une crise majeure, et s’il était important symboliquement de changer de nom, il fallait également répondre aux problèmes mis en exergue.» Les dysfonctionnements constatés alors ne relevant pas uniquement des services de protection, mais de l’ensemble de la chaîne de protection de l’enfance, ce changement traduisait la volonté de mieux ancrer, voire de renforcer les trois missions de la DGEJ que sont la protection, la participation et la prévention. «Face à la complexité des cas auxquels nous sommes confrontés, si la protection reste un pilier central, il s’agit autant que possible d’établir un équilibre entre ces trois missions. Il faut que l’on puisse encore améliorer le flux entre ces différents silos, de manière à les intégrer, pour nous permettre de trouver les meilleures solutions. Pour cela, nous nous sommes autant que possible donné les moyens d’agir en amont, notamment en intégrant les jeunes aux discussions qui concernent très directement leur présent et surtout leur avenir. »

Intégrer la parole de l’enfant

Qu’entend-on concrètement par participation de l’enfant? «La Convention des droits de l’enfant stipule que les enfants doivent être impliqués dans les décisions qui les concernent, précise d’emblée Manon Schick. Concrètement, cela signifie qu’un enfant capable de discernement devrait pouvoir dire ce qu’il pense, par exemple, d’une mesure d’adoption ou de placement. Mais intégrer son avis ne veut pas dire que c’est lui qui décide. La nuance est importante. Par exemple, il faut s’assurer qu’on lui restitue une décision prise avec des mots qu’il puisse comprendre, lui expliquer clairement comment son avis a pu être pris en compte ou non, et pourquoi.»

Cette approche n’est pas une révolution interne en tant que telle, la plupart des assistants sociaux étaient déjà attentifs à la parole de l’enfant et savaient comment accueillir cette parole, comment établir un dialogue franc: «Aujourd’hui, ils ont désormais à disposition des outils; par exemple, des enfants de huit ans pourront utiliser un jeu qui leur permettra de dire, avec leurs mots, ce qu’ils ressentent. Les outils sont là, mais tout cela prend du temps. Et avec l’augmentation des situations de crise auxquelles nous sommes confrontés, le temps est véritablement le nerf de la guerre.»

«Il faut renforcer la détection, surtout chez les tout petits. Si un enfant peut être repéré de façon précoce parce qu’il présente des troubles du comportement, nous arriverons parfois à intervenir avant que la maltraitance ne se généralise.»

Au premier plan une fillette tient un ours en peluche en regardant au sol. Derrière elle, ses parents se disputent dans le salon familial.Un enfant ne peut pas se développer normalement dans un environnement violent, qui le détruit. | Photo: fizkes

Hausse inquiétante des interventions

En termes statistiques, le constat est sans appel. Le nombre d’enfants qui bénéficient d’une intervention socioéducative de la DGEJ a atteint le chiffre record de 7861 enfants en 2022, sachant qu’il était encore inférieur à 7000 enfants en 2018. Si Manon Schick explique cette hausse inquiétante par une dégradation de la santé mentale des jeunes et par une plus forte précarité de familles déjà fragiles, elle est aussi le fruit d’une meilleure sensibilisation des milieux professionnels concernés à détecter la maltraitance et la violence intrafamiliale. «D’où l’importance de la prévention», souligne la cheffe de la DGEJ.

Les signalements viennent principalement des écoles, du milieu médical ou encore de la police. «Mais il faut renforcer la détection, surtout chez les tout petits. Si un enfant peut être repéré de façon précoce parce qu’il présente des troubles manifestes du comportement, nous arriverons parfois à intervenir avant que la maltraitance ne se généralise.»

Accompagner les parents démunis

Souvent les parents sont preneurs d’aide, capables de reconnaître que leur comportement est inadéquat, mais ne sachant pas faire autrement, ou simplement débordés par des situations de vie qui leur échappent.  Pour Manon Schick, il est tout aussi important d’accompagner ces parents démunis par un soutien à la parentalité que d’intervenir auprès de ceux qui exercent la violence de manière répétée, pour ne pas dire quotidienne. «Au début, je pensais que ces situations de violence extrême étaient exceptionnelles. En fait, il y en a beaucoup trop, même si ce n’est pas la majorité des quelque 8000 enfants que nous suivons.Quand la violence est extrême, elle est quotidienne, se traduisant par des coups, avec des objets ou encore avec des mots d’une grande brutalité… Il est évident qu’un enfant ne peut pas se développer normalement dans un tel environnement. En fait, ça le détruit!»

En matière de protection, chaque collaboratrice et collaborateur suit en moyenne plus d’une soixantaine de dossiers individuels.  «Il est évident que si l’essentiel de nos ressources humaines est consacré à la protection, quelques personnes suffisent parfois pour piloter des campagnes de prévention qui toucheront l’ensemble des jeunes du canton. À titre d’exemple, tout le travail sur l’éducation sexuelle va permettre aux enfants, dès le plus jeune âge, d’acquérir des connaissances sur leur corps – c’est mon corps et il m’appartient, qu’est-ce que je dis quand je ne veux pas qu’on me touche ? En cela, il s’agit d’un travail de prévention essentiel contre les abus et la violence.» 

Consensus parental

La DGEJ et l’Ordre judiciaire vaudois ont également lancé au début de cette année un projet pilote dans l’Est vaudois, dans le but d’améliorer la protection des enfants en cas de séparation conflictuelle des parents. Déjà développé avec succès dans d’autres cantons, le modèle de consensus parental a pour objectif d’amener les parents qui se séparent ou divorcent à trouver des solutions à l’amiable répondant surtout aux besoins des enfants. Dans un premier temps, ces parents sont orientés par les autorités judiciaires vers des séances obligatoires (et gratuites) de sensibilisation. «A cheval entre prévention et protection, cette mesure était attendue par de nombreux pédiatres et juges, explique Manon Schick. Sachant qu’un couple sur deux termine en divorce (alors, l’enfant est souvent confronté à un impossible conflit de loyauté entre sa mère et son père), l’enjeu est de sensibiliser les parents aux dommages délétères que cela peut représenter et de les encourager à se mettre rapidement d’accord en laissant l’enfant en dehors de leur conflit.» Et si cette première démarche s’avère infructueuse, les parents se voient encore proposer cinq heures de médiation, payées par l’État, pour essayer d’arriver à un accord. Le projet sera étendu à tout le canton après évaluation en 2025.

Effectifs renforcés

Pour faire face à la sévère augmentation des situations d’urgence enregistrée en 2022, et pour éviter la saturation du dispositif de prise en charge, un cinquième office régional de protection des mineurs a été ouvert pour couvrir la couronne lausannoise et la région du Gros-de-Vaud. De plus, le Conseil d’État a alloué un montant exceptionnel de 20 millions de francs pour la période 2024 – 2027 : «Ce montant servira à renforcer, notamment, les mesures ambulatoires. Par exemple, les situations qu’on peut stabiliser, quand il est encore assez tôt, par des interventions intensives à domicile.»

Mais surtout, dix nouveaux postes d’assistants sociaux seront octroyés en 2024. «Ces postes vont nous permettre de diminuer le nombre d’enfants suivis par assistant social. Sinon, nous risquerions de nous retrouver face à des situations où nous pourrions passer à côté de quelque chose de grave, sachant que depuis la période du COVID les difficultés se sont accumulées pour les familles et les jeunes», estime Mme Schick.

Trois ans après le début de ce changement en profondeur, Manon Schick estime le bilan positif : « Nous sommes au milieu du chemin. Même si nous n’avons pas encore atteint tous nos objectifs en termes de réforme et de stabilisation de ce service, mais grâce à ce renfort en personnel et la mise en œuvre de nos projets pilotes, nous allons pouvoir consolider le tout et lever les yeux du guidon.» (DA)

Les membres de la Commission cantonale de jeunes vus de dos lors d'une session au Parlement cantonal, en 2014Le nombre des participants à la Commission de jeunes augmentera, leur âge sera fixé entre 14 et 20 ans. | Photo: BIC

Vers un renforcement de la Commission de jeunes

Cet automne, le Grand Conseil devrait se pencher sur une réforme de la loi sur le soutien aux activités de jeunesse. L’idée est d’ancrer dans la loi différents aspects, dont la consultation des jeunes sur les projets de loi concernant leur avenir. Et si aujourd’hui il existe déjà une Commission de jeunes, le nombre des participants sera augmenté, leur âge sera fixé entre 14 et 20 ans. Et tous les deux ans, une Session cantonale des jeunes, sur le même modèle de ce qui se fait au niveau fédéral, réunira une centaine de jeunes, sur inscription, qui choisiront eux-mêmes les thèmes sur lesquels ils et elles auront envie de débattre avant de faire des propositions au Grand conseil. Cette année, lors de la session de mars, ils ont notamment choisi le thème de la santé mentale. «Et c’était passionnant de les entendre en parler si librement, sans tabou. Notamment sur le besoin de sensibilisation sur les lieux de formation. Le renforcement de la participation citoyenne des jeunes appartient également à notre cœur de métier», se réjouit Manon Schick.

Colloque sur l’Encouragement précoce

«Comment offrir un environnement sain et stimulant pour les jeunes enfants? Comment soutenir au mieux les futurs parents? Comment favoriser l’égalité des chances?» Autant de questions qui vont rythmer le colloque sur l’Encouragement précoce qui se tiendra le 18 janvier 2024 entre 8h et 17h30 à l’hôtel Alpha Palmiers, à Lausanne. Organisée conjointement par la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse et l’Office du médecin cantonal, cette journée verra se succéder conférences et ateliers participatifs, pour réfléchir ensemble à l’encouragement précoce, de la grossesse à l’entrée à l’école. Les portes de ce colloque sont ouvertes à tous les professionnels de l’enfance du Canton de Vaud.

Renseignements et inscriptions (site du CEP)